Pas que de la nourriture !
On a parlé jusqu'ici uniquement de l'aspect nutritif de l'allaitement. Mais toutes les mères allaitantes savent (et les témoignages des pages suivantes en témoignent) qu'il est bien autre chose : allaiter, ce n'est pas seulement donner du lait, c'est aussi donner le sein. Et pour le bébé, outre le fait de combler sa faim, téter est aussi un plaisir qui comble tous ses sens : le goût, l'odorat, le toucher...
Chez nous, il est très mal vu qu'un bébé "tétouille pour le plaisir", on ne doit pas le laisser faire. Ailleurs, on reconnaît et on admet ce plaisir (partagé par la mère). Pour Babette Francis (collaboratrice au Journal of Tropical Pediatrics and Environmental Child Health), la femme n'a pas plus à compter le nombre de fois où elle allaite qu'elle ne compte le nombre de fois où elle embrasse son bébé.
Un bébé peut téter pour tant de raisons : s'apaiser, se rassurer, soulager des coliques, obtenir les anticorps nécessaires pour lutter contre une infection, empêcher une nouvelle grossesse trop rapprochée (on sait que des tétées fréquentes prolongent l'aménorrhée lactationnelle). Et bien sûr, s'endormir.
Dans la plupart des cultures, on accompagne le bébé dans le sommeil, par des bercements, des berceuses et très souvent en le laissant s'endormir au sein. En Algérie par exemple, "pour procéder à l'endormissement, la mère s'isole, le plus souvent, avec son bébé dans un endroit calme (...) C'est un moment privilégié d'échanges entre la mère et le bébé : celui-ci triture le sein, tend sa main vers la mère qui la saisit et l'embrasse, elle le caresse, le regarde. Le bébé, maintenu et contenu par le corps de la mère, bénéficie de stimulations riches et variées. Elle l'accompagne de sa présence rassurante et chaleureuse, elle ne retire le sein que s'il est profondément endormi et ne le réclame plus (...) Il faut laisser à l'enfant le sein même s'il ne tète plus, il a besoin de la nefs de sa mère. Ce terme signifie à la fois l'âme, l'odeur, l'haleine, la chaleur. Elle le protège et le nourrit autant que le lait. Elle répond à un besoin de tendresse et de sécurité. Cette notion de nefs est assimilable à la notion d'enveloppe psychique qui procure au jeune enfant un sentiment de sécurité indispensable à sa stabilité émotionnelle" (8).
J'aime cette notion de nefs où le corps de la mère, à travers l'allaitement, sert de médiateur rassurant entre le bébé et l'extérieur : les premières semaines, être au sein est pour le bébé sa façon d'être au monde et d'entrer en relation avec lui.